Les terres outragées

Bonsoir, il y a quelques semaines, c'était le vingt-septième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Une petite note écologiste s'impose d'autant plus que d'autres accidents similaires ont eu lieu depuis, notamment à Fukushima il y a à peine deux ans, et que certains jugent toujours forcément nécessaire l'utilisation d'énergies dangereuses et polluantes.
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Le film de Gus Van Sant, Promised land, sorti en France le mois dernier, explore de manière réaliste, humaine et souvent non-dépourvue d'humour la problématique de l'exploitation des gaz de schiste. Steve et Sue, deux employés d'une puissante compagnie gazière sont envoyés dans une petite ville rurale et déshéritée de Pennsylvanie afin de convaincre les habitants de leur céder les droits d'exploitation du sous-sol contre une confortable rémunération. La population se retrouve rapidement divisée entre ceux qui espèrent profiter de l'occasion pour sortir leur région du marasme économique et ceux, menés par un professeur à la retraite, qui se méfient grandement des dégâts occasionnés par l'extraction du gaz. Cette procédure nécessite en effet l'utilisation de produits toxiques et/ou inflammables qui corrompent facilement les nappes phréatiques et peuvent, en remontant à la surface, empoisonner les terres et animaux. Chose que rappelle aux habitants un militant écologiste enthousiaste venu mener campagne contre les représentants de la compagnie. Je conseille vivement d'aller voir ce film qui a le mérite de traiter d'un problème sérieux sans aucun manichéisme - le personnage principal a à la base le "mauvais" rôle -  tout en offrant des tranches de vie touchantes et drôles sur la vie d'une population en sursis, condamnée à vendre sa terre pour satisfaire les appétits financiers d'une entreprise tentaculaire. Un retournement de situation révélera, à la fin du film, l'énormité de son hégémonie et poussera les personnages à choisir définitivement leur camp.
La bande-dessinée que je présente ce soir, sortie à l'automne 2012, s'intéresse directement à Tchernobyl. Le dessinateur, Emmanuel Lepage, y a en effet passé plusieurs semaines au printemps 2008, dans le cadre d'un projet associatif d'artistes venus croquer les lieux et vies des habitants en vue de la réalisation d'un livre-reportage dont les bénéfices sont reversés aux victimes de la catastrophe. 
Lorsque l'explosion de la centrale a eu lieu, le 26 avril 1986, Lepage n'avait que dix-neuf ans et eut longtemps le fantasme d'aller visiter cet univers détruit sur lequel il projetait des images de monde déchu, pullulant de ruines et de monstres. En réalité, le site de Tchernobyl est très loin de l'idée qu'il s'en faisait et que l'on s'en fait en général. La première partie de son reportage montre bien les villes de Pripiat et Tchernobyl, presque totalement désertes, cités figées à la fin de l’ère soviétique aux bâtiments fantômes tombés en poussière, mais la campagne environnante se révèle être d'une beauté troublante. La faune et la flore y sont abondantes, à peine différentes de celles qui s'y trouvaient avant. Le danger - les radiations, les poussières toxiques rendant périlleux le simple fait de toucher la terre, les arbres et mousses - est totalement invisible, uniquement indiqué par le petit tic-tac des dosimètres. Tchernobyl est un petit paradis empoisonné dont les humains se sont exclus, et qui se passe très bien de leur présence.
Le reportage tourne également beaucoup autour des habitants des abords de la zone qui accueillent avec chaleur les dessinateurs et leur font part des beautés et difficultés d'un quotidien particulier. L'ambiance générale reste chaleureuse et sympathique, bien que la réalité de leur condition ne soit pas édulcorée. La population locale vit de façon frugale, dans le danger permanent des radiations et souffre du manque de perspective d'avenir qui pousse beaucoup à noyer leur désarrois dans l'excès de foi ou de vodka. Mais la plupart ne souhaitent pas vivre ailleurs, leur monde est là et ils s'y sont accoutumés. En dépit du désastre, la vie continue.
 Un article scientifique pour en savoir plus 
http://culturevisuelle.org/catastrophes/2010/05/27/tchernobyl-nature. Et une agréable rengaine pour conclure, à la semaine prochaine :)

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