Le tiers amoureux

Bonjour, nous parlerons cette semaine de romances, ces derniers temps j'ai déjà abordé beaucoup de sujets très spécialisés, j'en reviens à la thématique plus universelle des sentiments amoureux, traitée sans mièvrerie puisqu'on le sait, l'amour n'est pas un long fleuve tranquille. L'un des thèmes les plus répandus de la littérature sentimentale est le triangle amoureux. Deux personnes qui s'aiment simplement c'est mignon mais ennuyeux, pour mettre du piment dans une idylle rien de tel qu'une tierce personne faisant obstacle. Dans la vie réelle, il est aussi fréquent que certains s'inventent des tiers cherchant à les séparer pour raviver la flamme de leur couple. Ce processus fait appel au désir mimétique : le/la conjoint(e) convoitée par un(e) autre semble beaucoup plus aimable et désirable, mais passons le côté scientifique pour se concentrer sur la littérature.
Marie de France (1160-1210)
Le triangle amoureux a été abondamment traité par les auteurs médiévaux, le thème de l'amour courtois l'exigeant. Ces récits mettent en scène des chevaliers amoureux de dames nobles, heureuses de leurs attentions car elles aussi éprises d'eux, mais inaccessibles car mariées. A cette époque les mariages n'étaient que des contrats liant deux familles et visant à produire des héritiers. L'adultère féminin était source d'histoires de passions impossibles particulièrement scandaleuses et émouvantes. La poétesse Marie de France, célèbre pour ses lais, de petits contes en vers rédigés en ancien français, inspirés en partie des légendes bretonnes, a ainsi composé de nombreuses romances adultères, parmi lesquelles un poème autour de la légende de Tristan et Iseult. Il s'agit du lai du chèvrefeuille, comparant les amants à des plantes enlacées : "D’eux il en fut ainsi que du chèvrefeuille qui s’était pris au coudrier. Lorsqu’il y est bien enlacé et roulé autour du bois, ensemble ils peuvent bien durer ; mais si on les sépare, le coudrier meurt bientôt et le chèvrefeuille également. — Belle amie, il en est de même de nous : ni vous sans moi, ni moi sans vous."      
Tristan and Isolde par Edmund Blair Leighton (1902)
Pour rappel, Tristan, neveu du roi Marc ou Marc'h de Cornouailles, fut chargé d'escorter Iseult, princesse d'Irlande et fiancée de son oncle de sa terre natale à l'Armorique où elle devrait vivre désormais. Lors du voyage, les jeunes gens eurent soif et burent par inadvertance un philtre d'amour destiné aux futurs époux afin de les unir durablement. Toute la romance de Tristan et Iseult tournera donc entre leur désir inextinguible de s'unir contrarié par l'union bien réelle d'Iseult et Marc et s'achève par la mort des amants. Le mythe comporte de nombreux rebondissements. Mes préférés concernent les aventures de Tristan en Irlande où il est à la fois héros et honni. Il a en effet tué l'oncle d'Iseult, le géant Morholt qui l'avait défié en duel mais également sauvé le pays d'un terrible dragon, ce qui le place dans une position délicate vis-à-vis d'Iseult. Bon en fait, j'avoue j'aime surtout cet épisode parce qu'il comporte un dragon ;)
extrait d'Arthur une épopée celtique, Drystan et Essylt par David Chauvel et Jérôme Lereculey
A la Renaissance qu'il s'agisse de récits d'apprentissage, d'aventures ou de romances, les thème de la tromperie et du travestissement sont omniprésents dans la littérature. On trouve quantité de pièces de théâtre et romans mettant en scène des personnages travestis qui, pour parvenir à leur fins amoureuses, vont adopter différents rôles sociaux voire prendre l'apparence de l'autre sexe. Les sept livres de Diane de l'écrivain espagnol Jorge de Montemayor publié en 1559 sont un recueil d'histoires galantes de gentilshommes et femmes espagnols.
On trouve parmi elles l'histoire de Félismène, jeune femme abandonnée par son amant, qui part à sa recherche travestie en homme. Elle parvient par ce stratagème à entrer au service du jeune homme comme page, séduire sa nouvelle compagne troublée par son charme androgyne et le reconquérir.
Au dix-neuvième siècle triomphe le théâtre de boulevard mettant en scène toutes sortes de quiproquo sentimentaux avec la fameuse scène-cliché de l'amant caché à la hâte dans le placard par une femme embarrassée du retour de son mari. Georges Feydeau (1862-1921) était spécialiste des comédies regorgeant de scène de ce type. Dans La Dame de chez Maxim, une danseuses du Moulin-Rouge, la Môme Crevette atterrit par hasard chez le respectable docteur Petypon qui, pour la cacher à sa femme, va recourir aux stratagèmes les plus extravagants. Jusqu'à se trouver obligé d'emmener la jeune femme au mariage de sa nièce où tous prennent sa gouaille pour la fine fleur du snobisme parisien.
Ci-dessous deux mises très différentes d'une même pièce de boulevard fictive, jouées par les Inconnus.
Et pour terminer une chanson douce de Tracy Chapman, bonne semaine à tous !

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