Mauvais choix

Bonjour, à l'heure où le fascisme opère un retour en force en Europe, il devient essentiel de s'armer intellectuellement pour essayer de comprendre et enrayer le phénomène. Nous parlerons aujourd'hui d'un roman se prêtant à ce retour historiographique Le monarque des ombres/El monarca de las sombras de Javier Cercas, paru en France en 2018.
Ce livre est à la fois l'histoire d'un garçon mort trop tôt pour de mauvaises raisons, Manuel Mena, soldat franquiste, tué à dix-neuf ans lors de la bataille de l'Èbre en septembre 1938, et l'exploration de la mémoire politique et intime d'un village du sud de l'Espagne durant la guerre civile. Mena était l'oncle préféré de la mère de l'auteur, le héros de la famille dont elle a transmis la légende à ses enfants, paradigme de l'héritage problématique pour un écrivain de gauche. Pour mieux cerner son sujet, Cercas a pris le parti de dédoubler sa narration, d'un côté, la biographie rédigée à la troisième personne de son jeune aïeul mêlée à l'histoire de leur village, Ibahernando, de l'autre, sa quête, à la première personne, pour reconstituer les minces traces de cette vie, tant à travers les souvenirs de sa famille et ceux des gens de leur hameau que dans les documents officiels de l'époque. Les deux récits peuvent se lire comme une longue prétérition où l'auteur emprunte de nombreux détours pour expliquer comment une bourgade de paysans dont certains, petits propriétaires, étaient à peine moins pauvres que les autres, passa en quelques années d'un enthousiasme certain pour la nouvelle république à l'adhésion au fascisme, défendant non seulement une cause déshonorable mais aussi contraire à leurs propres intérêts. Réflexion historique doublée d'une méditation littéraire sur l'héroïsme et le destin, le titre faisant écho aux lamentations d'Achille dans l'Odyssée, mort jeune en pleine gloire qui se désole de n'être désormais plus que le souverain des défunts. Il en résulte un livre parfois ardu à l'écriture scrupuleuse et brillante que je conseille à tous les amateurs d'enquête historique.
Guernica par Pablo Picasso (1937)
Terminons par une version espagnole de Bella ciao, à bientôt !

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