Terre de feu

Bonjour, en ces temps de départs en vacances, alors que nous sommes encore nombreux à trimer durement, je propose, pour se changer les idées, une destination lointaine et peu connue  : la Terre de feu. Archipel à l'extrême sud de l'Amérique du Sud, ce territoire est partagé entre le Chili et l'Argentine, il est situé aux confins de la région de la Patagonie, Ushuaïa en est la capitale, on la considère comme la ville la plus australe du monde.
Le nom d'Ushuaïa, utilisé à toutes les sauces dans les médias, n'a rien à voir avec les représentations publicitaires qui en ont été faites d'après sa consonance exotique. La Terre de feu est un pays âpre fait de plaines de broussailles, de montagnes enneigées, d'un vaste ciel plein d'oiseaux de mer et de plages de roches et de galets sur lesquelles se vautrent des troupeaux de phoques grassouillets.   
Pour découvrir en mots cette contrée, je conseille les écrits de l'écrivain chilien Francisco Coloane (1910-2002), en particulier son roman Le sillage de la baleine. Publié pour la première fois en 1962, il condense l'ensemble des thèmes de son œuvre et dépeint magnifiquement l'univers si particulier des terres australes.
L'histoire débute au début des années 1920, Pedro Nauto, adolescent né de père inconnu perd sa mère. Lui qui ne rêve que d'aventures, de pêches, chasses aux monstres marins et miraculeuses îles au trésor se retrouve à devoir assurer sa propre subsistance au sein d'un monde adulte rude. Travaillant d'abord comme domestique, il prend le risque de s'engager comme mousse dans l'équipage du Leviatán, baleinier commandé par un vieux loup de mer faisant route vers les eaux tourmentées de l’Antarctique, dans le sillage des baleines. Coloane, qui a été orphelin de bonne heure et du lui aussi cesser ses études et exercer toutes sortes de métiers - éleveur de moutons, marin à bord d'un baleinier, journaliste, etc - pour gagner sa vie avant de se mettre à consigner ces expériences en nouvelles et romans, a mis beaucoup de lui-même dans ce texte. On vit le quotidien d'un jeune garçon qui quitte progressivement le monde sécurisé de l'île de son enfance pour découvrir des terres plus vastes, et au bout du voyage les eaux glacées entourant la Terre de feu où gîtent les baleines, puissantes et calmes créatures très malaisées à capturer.
Un grand roman d'apprentissage que je vous conseille pour la beauté de la langue, le dépaysement garanti et l'intrigue qui n'est pas sans rappeler Moby Dick, comme vous le découvrirez.
On ne peut parler de la Terre de feu sans évoquer ses premiers habitants, plusieurs tribus amérindiennes aujourd'hui disparues.
Les Selk'nam, également nommés Onas étaient l'une des principales ethnies, chasseurs-cueilleurs nomades ils se déplaçaient sur leur territoire au grès des saisons et furent, comme la plupart des peuplades amérindiennes, victimes d'un génocide organisé par les colons européens venus s'approprier leurs terres entre la fin du dix-neuvième siècle et les années cinquante. L'ethnologue et anthropologue franco-américaine Anne Chapman (1922-2010) leur a consacré, à partir de 1964 de longues années de recherche afin de recueillir et mettre en forme leur culture avant que celle-ci ne s'efface complètement. Quand le Soleil voulait tuer la Lune paru en 1982, résume la somme du travail d'investigation qu'elle a mené auprès des derniers Selk'nam ayant mené une existence traditionnelle. Deux femmes en particulier, Lola Kiepja et Angela Loij, nées vers 1880 et 1900, décédées en 1966 et 1974, lui ont été d'une aide précieuse par les témoignages de ce qu'était la vie de leurs ancêtres et de ce que furent leurs existences lors des temps impitoyables de la colonisation. Ci-dessous Anne Chapman et Angela Loij en 1969.
Le titre du livre vient de l'un des récits fondateurs de la mythologie Selk'nam. En des temps fort lointains, la terre était peuplée d'esprits, le soleil et la lune vivaient encore parmi les humains mais hommes et femmes entamèrent une lutte pour le pouvoir qui conduisit le soleil a frapper la lune au visage pour la tuer ne réussissant qu'à lui creuser de larges cratères sur sa face. Depuis cette époque mythique, les deux astres se poursuivent inlassablement dans le ciel. Les Selk'nam mettaient en scène cette légende et bien d'autres lors d'une cérémonie rituelle annuelle de plusieurs jours, le Hain, durant laquelle hommes et femmes prenaient l'apparence d'esprits en peignant leurs peaux, maquillant leurs visages, portant parures, décorations et masques de bois. Chaque rite était effectué de manière très précise selon une mise en scène bien étudiée qui recouvre différentes significations que vous découvrirez dans ce livre. Ce n'est pas une lecture de plage mais il ne s'agit pas non plus d'un ouvrage aride à lire. Anne Chapman sait faire revivre ce monde disparu et la vivacité de la parole de ses derniers témoins avec curiosité et respect.
Ci-dessous Angela Loij entre deux amies lors de la cérémonie du Hain de 1923.
Pour conclure, terminons par un sympathique petit film d'animation espagnol résumant la destinée des Selk'nam.
A bientôt, bonne semaine à tous !

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