Acculturation

Bonsoir, volons aujourd'hui en direction de l'imaginaire d'Europe de l'est avec un roman fantastique estonien : L'Homme qui savait la langue des serpents/Mees, kes teadis ussisõnu d'Andrus Kivirähk, paru en France en 2013, parabole aussi inventive que grinçante sur la fuite du temps et l'acculturation qui, inévitablement, l'accompagne.
Le lecteur est introduit dans une Estonie médiévale fantaisiste peuplée de chasseurs-cueilleurs sylvestres qui, jadis, savaient la langue des serpents - l'idiome qui permet de communiquer avec les animaux et se faire obéir d'eux - pouvaient cueillir les vents, guerroyer à dos de loups et vivaient dans l'ombre bienveillante de la Salamandre, monstre volant protecteur du pays. Mais rien n'est éternel et, lorsque s'ouvre le récit, cette terre mythique est désormais occupée par des envahisseurs étrangers, les chevaliers teutoniques. Les habitants quittent en masse les bois pour s'installer dans des villages et cultiver la terre. Seuls quelques irréductibles persistent à vivre en forêt, à l'image en abyme d'un couple d'anthropopithèques éleveurs de poux géants, vestiges d'une époque encore antérieure. Le narrateur, le jeune Leemet, grandit dans cette atmosphère de déclin sans trop savoir où trouver sa place. Entre les villageois imbus de leurs nouvelles techniques et d'un Dieu unique importés par les conquérants qui ont renié leurs héritages les plus essentiels pour embrasser la modernité et les derniers habitants de la forêt qui vivotent dans la solitude et noient leur désespoir dans l'alcool ou un chamanisme fanatique, les échanges se font de plus en plus ardus jusqu'à sombrer dans la violence. Cette épopée de la fin d'un monde, rédigée sur un ton ironique et truculent, masque une grande mélancolie et un pamphlet sans concession contre les chantres du progrès comme ceux du conservatisme. Cette dimension morale fait de ce roman une lecture prenante et philosophique à conseiller aux lecteurs aguerris amateurs d'évasion intelligente.
Hel et ses frères, le loup Fenrir et le serpent de mer Jörmungand par Émil Doepler (1905)
Terminons sur un bel air mélancolique d'Arvo Pärt, à bientôt !

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