Arrière-saison poétique

Bonjour, ce matin une courte note poétique autour de l'automne, douceur et mélancolie au programme pour s'évader de la rudesse du quotidien. 
Commençons par un poème de Cécile Sauvage (1883-1927), poétesse française autrice d'une œuvre aux accents romantiques tournée vers l'exaltation des sentiments, amour, maternité, passion mystique de la nature qui fut souvent caricaturée. Elle est peu connue du grand public, éclipsée notamment par la gloire de son fils, le compositeur Olivier Messiaen. Depuis quelques années on redécouvre ses travaux d'un œil moins condescendant, ce texte est extrait du recueil "Tandis que la terre tourne" publié en 1910.

Fuite d'automne

Sors de ta chrysalide, ô mon âme, voici
L’Automne. Un long baiser du soleil a roussi
Les étangs ; les lointains sont vermeils de feuillage,
Le flexible arc-en-ciel a retenu l’orage
Sur sa voûte où se fond la clarté d’un vitrail ;
La brume des terrains rôde autour du bétail
Et parfois le soleil que le brouillard efface
Est rond comme la lune aux marges de l’espace.
Mon âme, sors de l’ombre épaisse de ta chair
C’est le temps dans les prés où le silence est clair,
Où le vent, suspendant son aile de froidure,
Berce dans les rameaux un rêve d’aventure
Et fait choir en jouant avec ses doigts bourrus
La feuille jaune autour des peupliers pointus.
La libellule vole avec un cri d’automne
Dans ses réseaux cassants ; la brebis monotone
A l’enrouement fêlé des branches dans la voix ;
La lumière en faisceaux bruine sur les bois.
Mon âme en robe d’or faite de feuilles mortes
Se donne au tourbillon que la rafale apporte
Et chavire au soleil sur la pointe du pied
Plus vive qu’en avril le sauvage églantier ;
Cependant que de loin elle voit sur la porte,
Écoutant jusqu’au seuil rouler des feuilles mortes,
Mon pauvre corps courbé dans son châle d’hiver.
Et mon âme se sent étrangère à ma chair.
Pourtant, docilement, lorsque les vitres closes
Refléteront au soir la fleur des lampes roses,
Elle regagnera le masque familier,
Et, servante modeste avec un tablier,
Elle trottinera dans les chambres amères
En retenant des mains le sanglot des chimères.

Coup de vent par Lucien Lévy-Dhurmer (1910)
Marie Krysinska (1857-1908), poétesse et écrivaine française d'origine polonaise, elle est également autrice de très nombreux articles sur l'art, la littérature et la musique. On la connait en outre pour être la seule femme membre permanent du groupe des Zutistes.  Le poème ci-dessous est issu du recueil Rythmes pittoresques, paru en 1890.

Chanson d'automne 

Sur le gazon déverdi, passent – comme un troupeau d’oiseaux chimériques – les feuilles pourprées, les feuilles d’or.
Emportés par le vent qui les fait tourbillonner éperdûment. –
Sur le gazon déverdi, passent les feuilles pourprées, les feuilles d’or. –

Elles se sont parées – les tristes mortes – avec une suprême et navrante coquetterie,
Elles se sont parées avec des tons de corail, avec des tons de roses, avec des tons de lèvres ;
Elles se sont parées avec des tons d’ambre et de topaze.

Emportées par le vent qui les fait tourbillonner éperdûment,
Elles passent avec un bruit chuchoteur et plein de souvenirs.
Les platanes tendent leurs longs bras vers le soleil disparu.

Le ciel morose pleure et regrette les chansons des rossignols ;
Le ciel morose pleure et regrette les féeries des rosiers et les fiançailles des papillons ;
Le ciel morose pleure et regrette toutes les splendeurs saccagées.

Tandis que le vent, comme un épileptique, mène dans la cheminée l’hivernal orchestre,
Sonnant le glas pour les violettes mortes et pour les fougères,
Célébrant les funérailles des gardénias et des chèvrefeuilles ;

Tandis que derrière la vitre embuée les écriteaux et les contrevents dansent une fantastique sarabande,
Narguant les chères extases défuntes,
Et les serments d’amour – oubliés.
Forge Valley, Scarborough par John Atkinson Grimshaw (1877)
 Terminons en musique avec un hommage à Leonard Cohen, à bientôt !

Commentaires

  1. Merveilleuse chanson d'amour de Léonard Cohen qui me ramène 40 ans ou plus en arrière...

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  2. (Suite du précédent message)Je ne connaissais pas Marie Krysinska mais je vais me renseigner...D'autant que je suis plongée dans la lecture d'un auteur d'origine polonaise Isaac Bashevi Singer dont j'avais lu il y a longtemps des contes. Là c'est un roman "L'esclave", dans la même veine, réalisme et poésie, les dibbuks et autres entités sont de la partie.Un récit poignant, véritable épopée et roman d'amour comme on n'en fait plus!

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    1. J'ai déjà lu quelques livres de Singer, mais je ne connaissais pas celui-ci, il faudra que j'y jette un coup d’œil !

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