Bioéthique féministe

Bonjour, j'en avait déjà touché un mot ici, je milite au sein d'un collectif féministe préoccupé de bioéthique, nous luttons principalement contre la marchandisation et l'appropriation du corps des femmes à l’œuvre dans la médecine reproductive et régénératrice. Ce matin une note pour présenter deux ouvrages qui décortiquent avec beaucoup de clarté et d'intelligence ces thématiques à l'échelle internationale. L'être et la marchandise de la journaliste suédoise et féministe Kajsa Ekis Ekman, paru en 2012, construit sur un ample travail de documentation et d'analyse de la prostitution et la maternité de substitution.

Dans notre monde globalisé, l'exploitation des femmes à des fins de traite sexuelle ou reproductive s'est accélérée et intensifiée depuis le début du vingt-et-unième siècle formant de très lucratives industries. En parallèle, de nombreuses voix produisent de plus en plus de discours visant à justifier ces faits et encourager leur décriminalisation et leur réglementation. Les femmes qui se vendent en tant que prostituées ou mères porteuses ne seraient nullement des victimes mais des sujets libres de disposer de leur personne et de mettre en vente leur capacité à des partenaires égaux sur le marché. Envolés les rapports d'oppression systémiques, la pauvreté structurelle des femmes partout à travers le monde, les violences sexistes et le conditionnement qu'elles subissent dès l'enfance qui les amènent à considérer leur corps comme un objet et à n'exister que pour autrui, en fonction des désirs des hommes et des dominants. Écarté le fait que ce sont très majoritairement les femmes les plus fragiles, cumulant le fait d'être issues des milieux sociaux et des pays les plus pauvres et d'avoir subi des violences et des négligences dans leur jeunesse qui se proposent de subir des actes sexuels et des grossesses qu'elles ne désirent pas contre paiement. Se positionnant dans une perspective abolitionniste Kajsa Ekis Ekman décortique et réfute avec brio le positionnement néolibéral par un argumentaire sociologique très complet tout en s'intéressant aux conséquences psychologiques que ces pratiques entraînent pour les femmes concernées, morcellement des corps, dissociation de soi. Un ouvrage essentiel à découvrir pour quiconque souhaite approfondir ces thématiques.

Le corps-marché de la sociologue québecoise Céline Lafontaine, paru en France en 2014, livre une analyse implacable de l'économie construite à l'échelle mondiale sur l'exploitation du corps humain.

Les nouvelles technologies et l'essor du marché ont permis la création d'une "bioéconomie" mondialisée. L'exploitation du corps des humains ne date certes pas d'hier mais, à présent que la chair dont nous sommes fait peut, comme celle des autres animaux, être assez aisément morcelée, étudiée, conservée et transportée à travers le monde, tous les processus biologiques peuvent être utilisées aux fins les plus diverses pour soigner, prolonger la vie, éventuellement la régénérer et même investir dans un "capital santé" comme on investit en bourse. Des banques de sang, d'organes, de tissus, de cellules et de gamètes ont pu ainsi être créées. Bien que la rhétorique de l'industrie médicale porte aux nues la notion de don, celle-ci repose en très grande partie, pour ne pas dire quasi-exclusivement, sur la commercialisation du corps des populations les plus défavorisées. Les femmes, à cause de leur rôle reproductif, sont particulièrement exposées à cette exploitation, leur corps pouvant être utilisé comme réserve de cellules thérapeutiques ou pour porter des enfants à la demande. Les ovules, les cellules souches embryonnaires ou fœtales, ainsi que celles du cordon ombilical pouvant être utilisées aussi bien pour engendrer de nouvelles vies que pour régénérer des tissus ou des organes vieillissants ou endommagés. Là encore l'auteure se positionne en féministe matérialiste plaidant pour un retour à une vision intègre de la personne, un ouvrage de référence indispensable.

La Métamorphose de Narcisse par Salvador Dalí (1937)

Pour terminer je vous transmets la vidéo de l'intégralité des Assises pour l'abolition
de la maternité de substitution auxquelles j'ai assisté le 2 février dernier, à bientôt !