Lune après lune

Bonjour, ce matin un peu de poésie pour adoucir ce monde barbare, tournons en rythme et en rimes autour de notre satellite, j'ai nommé la lune qui a inspiré bien des poètes depuis que nous suivons sa course. L'observation et les rêveries autour de la lune ont enfanté de nombreuses légendes, notamment celle qui voudrait qu'elle soit habitée et éclairée par un vieil homme ou une vieille femme porteur d'une lanterne et d'un fagot. La tradition hébraïque raconte que ce vieillard fut surpris à ramasser des fagots de bois le jour du Sabbat, d'ordinaire entièrement consacré à Dieu, et maudit et exilé sur la lune pour y expier son refus de respecter le repos sacré. Sabine Sicaud (1913-1928) enfant prodige et poétesse morte à l'adolescence reprit à l'âge de treize ans ce conte ancien avec grâce.

 La vieille femme de la lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre, 
 On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde ?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort... Nous fermerons les yeux à double tour...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Artémis par Guillaume Seignac (1870-1924)

Dans la mythologie gréco-romaine, la lune possède trois différentes incarnations, Artémis/Diane, le croissant de lune, représente la naissance, vierge chasseresse, protectrice des forêts, elle est la sœur du dieu solaire de la musique et des arts, Apollon. Hécate la lune noire, magicienne redoutable, personnifie la mort, les puissances de l'ombre et de l'inconscient, Séléné ou Luna incarne quand à elle la pleine lune ou la maturité de la vie.

Clair de lune par Alfons Mucha (1902)

La déesse Séléné eut de nombreux amants, le plus cher à son cœur fut un mortel, un beau jeune homme nommé Endymion qu'elle plongea dans un sommeil éternel pour ne pas le voir mourir, veillant sur lui nuit après nuit, faute de pouvoir l'élever au rang de divinité. Marie Under (1883-1980) poétesse estonienne exilée de son pays par les aléas de l'histoire - occupation des troupes allemandes puis soviétiques et persécutions des intellectuels - a rédigé en près d'un siècle de vie une œuvre abondante. Ici un poème mêlant sommeil, amour et lumières nocturnes, extrait du recueil La pierre ôtée du cœur traduit en français par Michel Dequeker en 1970.

 Comment pourrais-je dormir !

Comment pourrais-je dormir, alors que j’aime tant !
La lune sur le plancher a mis des feuilles d’argent,
au ciel comme des larmes éclosent des étoiles.
Comment pourrais-je, et toi et moi, nous oublier !

Comment pourrais-je dormir, alors que j’aime tant,
que je peux, de mes désirs, orner l’instant présent,
et des perles du jour éclairer la nuit grise,
et porter la tristesse comme une félicité !

Penser à toi, le cœur empli d’un éclat pourpre,
et me laisser porter par la haute vague de la joie…
Qu’importe si je me heurte aux rives de la douleur.

Comment puis-je dormir, quand la poitrine, pleine
de bonheur et de peine, nuit et jour s’y complaît,
comme au premier bonheur… à la première peine…

Endymion par George Frederic Watts (1872)

Terminons ce florilège par un poème de Paul Verlaine (1844-1896) extrait du recueil des Fêtes galantes paru en 1869, qui a notamment été mis en musique par les compositeurs Claude Debussy et Gabriel Fauré dans les années qui ont suivi sa publication.

Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

 Une ballade électro-folk d'une chanteuse italo-islandaise pour conclure, à bientôt !