Transatlantique

Bonjour, ce lundi nouvel article historique, nous allons parler de la traite négrière. Ce sujet a été traité maintes fois en littérature et dans les arts mais souvent d'un point de vue européen ethnocentré. Je vous présente aujourd'hui deux œuvres, un roman et une bande-dessinée, plus critiques de cette perspective qui prévaut toujours dans nos différentes représentations, même à l'heure actuelle. Lorsque l'on parle de la mise en esclavage des populations africaines par les colons d'Europe et du Moyen-Orient, on s'intéresse assez peu au vécu de ces captifs avant leur capture, à ce qu'était leur vie et comment leurs proches on pu réagir à leur soudaine et irrévocable disparition. Le beau roman La saison de l'ombre, publié en 2013 par Léonora Miano, écrivaine originaire du Cameroun résidant en France, s'attache à donner forme aux destins de ces peuplades d'Afrique subsaharienne, brusquement confrontées au phénomène brutal et inédit de la traite. 
Le récit débute par une nuit d'incendie. Le clan des Mulongo est réveillé par les flammes envahissant leur village qu'ils combattent jusqu'à l'aube. Lorsque se lève le jour, c'est la consternation car, en sus des destructions causées par le feu, dix jeunes hommes nouvellement initiés et deux anciens se sont mystérieusement volatilisés. Par mesure de précaution, pour éviter d'étendre un possible mauvais sort sur le reste de la communauté, les mères des garçons disparus sont reléguées dans une case à l'écart du village pendant que les notables, dont la très respectée sage-femme, se concertent sur la conduite à tenir. D'abord gagnés par l'inertie, les Mulongo se mobilisent peu à peu. Quelques-uns d'entre eux, dont trois femmes déterminées vont mener une quête périlleuse pour tenter de découvrir la vérité et comprendre petit à petit que les leurs ont été fait prisonniers par des factions armées de la puissante nation voisine, les Bwele. Ceux-ci, avec lesquels ils commercent régulièrement, les ont livrés contre divers paiements à de curieux étrangers venus du nord par les eaux, vêtus de pantalons leur donnant l'air d'avoir des pattes de poules. Je conseille vivement ce récit ciselé dans une langue impeccable qui nous introduit dans l'univers méconnu des anciennes nations africaines et parvient à restituer ce que put être la vie à cette époque charnière où bascula le destin d'un continent. 

La bande-dessinée du jour, Atar Gull ou le destin d'un esclave modèle sortie en 2011, scénarisée par Fabien Nury et illustrée par Brüno est une adaptation du roman éponyme d'Eugène Sue publié en 1831, époque ou le commerce des esclaves battait encore son plein.
Nous sommes au début du dix-neuvième siècle, Atar Gull, prince guerrier africain a été arraché à sa tribu, capturé, déporté et vendu comme esclave à la Jamaïque au terme d'une traversée de l'Atlantique épique. Lui et plusieurs des siens deviennent les propriétés d'un riche planteur de canne à sucre, Tom Will. Ce dernier se présente comme un maître "humaniste", refusant d'infliger à ses serviteurs des châtiments trop rudes. Cela ne l'empêche pourtant pas, lors d'une période de vaches maigres, de faire pendre un vieil homme devenu trop faible pour travailler, l'accusant injustement de vol. Le vieillard n'est autre que le père d'Atar Gull qui, à compté de ce jour, possédé par la haine, jure de le venger. Pour se faire, l'ancien prince se transforme en esclave modèle qui deviendra progressivement l'homme de confiance de Tom Will et utilisera cette position pour causer sa ruine et la destruction de sa famille, n'hésitant pas à sacrifier le maigre bonheur qui lui restait pour assouvir sa vengeance. Le dessin stylisé renforce encore la puissance du récit. Eugène Sue avait avant tout pensé ce roman comme une dénonciation très ironique de la figure littéraire mensongère du "bon esclave" heureux de servir ses maîtres qui donnait bonne conscience aux esclavagistes. Mais c'est également une histoire de son temps, romantique à souhait, c'est à dire pleine de bruit et de fureur et truffée d'inexactitudes historiques ! Je vous la conseille très fortement.
     Terminons par une composition de la chanteuse malienne Rokia Traoré, "Sabali" qui signifie "patience" et quelques aperçus de l'Afrique, à bientôt !

Commentaires

  1. Article très intéressant et bien écrit, précis !! Myrtille T.

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    1. Merci, très aimable à vous, pour plus d'infos sur le roman et d'autres découvertes, je vous poste le site de l'auteure
      http://www.leonoramiano.com/

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