Réminiscences d'Asie

Bonsoir, on fête cette année le centenaire de Marguerite Duras (1914-1996). Née Marguerite Donnadieu un 4 avril à Gia Dinh, bourgade proche de Saïgon, au cœur de l'Indochine coloniale, dans l'actuel Vietnam, cette auteure s'est largement inspirée de ses expériences d'enfance et de jeunesse en Asie, réelles ou fantasmées, pour écrire certaines de ces plus belles œuvres. L'Amant, roman publié en 1984, relate la romance entre la romancière encore adolescente et un jeune homme chinois, riche rentier de Saïgon. Ci-dessous, en extrait, les commentaires sarcastiques de la mère de la narratrice suspicieuse face à la nouvelle passion de sa fille. 
"Ma mère a dit à la directrice de la pension : ça ne fait rien, tout ça c'est sans importance, vous avez vu ? ces petites robes usées, ce chapeau rose et ces souliers en or, comme cela lui va bien ? La mère est ivre de joie quand elle parle de ses enfants et alors son charme est encore plus grand. Les jeunes surveillantes de la pension écoutent la mère passionnément. Tous, dit la mère, ils tournent autour d'elle, tous les hommes du poste, mariés ou non, ils tournent autour de ça, ils veulent de cette petite, de cette chose-là, pas tellement définie encore, regardez, encore une enfant. Déshonorée disent les gens ? et moi je dis : comment ferait l'innocence pour se déshonorer ? La mère parle, parle. Elle parle de la prostitution éclatante et elle rit, du scandale, de cette pitrerie, de ce chapeau déplacé, de cette élégance sublime de l'enfant de la traversée du fleuve, et elle rit de cette chose irrésistible ici dans les colonies française, je parle, dit-elle, de cette peau de blanche, de cette jeune enfant qui était jusque-là cachée dans les poste de brousse et qui tout à coup arrive au grand jour et se commet dans la ville au su et à la vue de tous, avec la grande racaille milliardaire chinoise, diamant au doigt comme une jeune banquière, et elle pleure"
Instantanés de Marguerite Duras âgée de quinze et soixante ans, ci-dessous, enfant, sur un portrait de famille. D'avantage qu'une simple histoire d'amour, la narration est une ode nostalgique à la terre natale de l'auteure, les découvertes sensuelles de l'adolescence se mariant avec un paysage luxuriant et humide, matrice des jeux d'enfance et des relations difficiles et fusionnelles qu'elle entretient avec sa mère, veuve et ses deux frères. La première idylle demeure à jamais inoubliable car elle renferme en elle toutes les réminiscences des personnes et lieux aimés fondateurs de nos existences. 
Autre récit autobiographique d'une enfance passée en Asie, dans un style très différent, la bande-dessinée Née quelque part de Johanna Schipper, parue en 2004. L'auteure, qui signe ses livres de son seul prénom, a vu le jour à Taïwan en 1967 où son père ethnologue s'était établi avec femme et enfants. 
Le récit met en scène Nadja, la trentaine, double de l'auteure, revenue sur la terre de son enfance après des années d'absence. La jeune femme dessinatrice est en quête d'un passé familial qui lui échappe et des souvenirs de sa petite enfance asiatique qui a pris brutalement fin lorsque ses parents ont pris la décision de retourner en Europe. Déchirement pour une petite fille qui se vivait comme une chinoise à part entière et qui, devenue adulte peine à se rappeler les mots de sa langue natale, enfouis sous les couches de l'oubli.   
Là encore, la narration suit le fil de la mémoire de l'auteure faite essentiellement de réminiscences sensuelles étant donné son jeune âge au moment de la coupure de l'exil. Étrange expérience que de découvrir en touriste, guide et traducteur à la main, un monde inconnu dont on porte en soi les couleurs, les odeurs, les sons et les saveurs depuis toujours. Un bel album aux teintes douces que je vous recommande si vous souhaitez découvrir cette auteure et avoir un premier aperçu intimiste de l'île de Formose.
Terminons par une chanson tirée d'un manga animé, évoquant le vol des nahji des oiseaux japonais. 
A très bientôt !

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